Interview de Philippe Tricaud, fondateur de Studio Bleu
En matière de studios de répétition sur Paris, Studio Bleu fait figure de référence : plusieurs sites dans le centre et dans l'est parisien, des dizaines de salles, et un équipement haut de gamme. Rencontre avec son gérant et fondateur Philippe Tricaud qui nous a reçus dans l'un de ses studios du 10e arrondissement.
Philippe Tricaud, fondateur de Studio Bleu
Studio Bleu est l'un des plus grands groupes de location de studios de répétition sur Paris. Pourrais-tu nous retracer brièvement son histoire ?
C'est ici dans le 10e arrondissement de Paris que le premier site de Studio Bleu a ouvert en 1996. A l'heure actuelle, il en compte 7, avec en tout une soixantaine de salles de répétition et une quinzaine de salles de danse. Le développement a été progressif avec 4 salles, puis 6, puis 10 etc... Je crois beaucoup en un développement assez posé. On rajoute des salles dès qu'on trouve des nouveaux locaux et tant qu'on a des clients, ce qui n'est pas toujours le cas, avec pour conséquence la fermeture de certains espaces. Finalement, en 24 ans d'activité, le développement s'est fait assez lentement en passant de 4 à 70 salles.
Tu as fondé Studio Bleu en 1996. As-tu eu un déclic qui t'a poussé à te lancer dans la création de studio ?
A l'origine, je suis entrepreneur et musicien amateur. Je jouais à l'époque dans un groupe, et c'était très compliqué de trouver des studios de répétition sur Paris. C'est de cette façon que l'on a monté ce premier projet. Il s'en est suivi un développement endogamique voyant que nos clients adhéraient au projet et que l'on arrivait à suivre leurs demandes et leurs besoins. Au final, Je suis arrivé dans ce secteur par opportunisme, et j'y suis resté par goût.
Justement, quels sont les aspects plaisants de ce métier ?
Cela fait 24 ans que je fais ce boulot, et je ne m'ennuie toujours pas. Et s'il m'ennuie aussi peu, c'est grâce au contact des musiciens. J'ai arrêté de jouer quand j'ai monté mon premier studio, mais j'ai toujours gardé le contact avec les musiciens. Et ce contact est toujours stimulant, parce que ce sont des artistes, et être artiste, c'est pousser le curseur le plus loin possible dans sa singularité. Du coup, on a jamais une impression de déjà-vu. Les interactions à la machine à café, dans les couloirs, c'est toujours surprenant. C'est ça qui rend ce boulot très intéressant.
Tu as donc croisé beaucoup de musiciens au cours de ces 24 ans, et tu dois sans doute avoir beaucoup d'anecdotes. Pourrais-tu nous en raconter une qui t'aurait spécialement marqué ?
J'aime passer un moment avec eux. Et quand ils viennent ici, c'est vraiment leur outil de travail qu'ils s'approprient pendant un temps. On a une gamme d'artistes qui est extrêmement large, allant de gens qui répètent pour leur plaisir le soir à de très grands pros la journée. Mais il n'y a pas un moment particulier, il y a toujours des plaisanteries, des sourires, des moments partagés qui sont délicieux, avec des artistes qui répètent ici depuis 20 ans et qui ne partiront pas parce que c'est leur seconde maison.
Parmi tous ces artistes qui viennent à Studio Bleu, est-ce-qu'il y a un genre musical qui est représenté plus que les autres ?
Non, pas du tout. En fait, plus on est au centre de Paris, plus la musique est diverse. Ici, c'est vraiment un studio du centre parisien, donc la diversité musicale est incroyable. En revanche, plus on s'éloigne du centre, plus le rock français est présent. Au nord de Paris, il y a peut-être plus de rap. Mais c'est vraiment au centre de la ville que la diversité est maximale.
Studio Bleu est une réussite dans le domaine de la répétition musicale. Quelles sont ses spécificités ?
L'accent est mis sur l'attention que l'on porte à nos clients. On se met toujours à leur place. Notre processus d'amélioration est permanent et touche à tous les secteurs de la boîte, la centrale de réservations, les logiciels, l'aménagement des salles. Et la plupart des améliorations que l'on met en œuvre dans un studio seront mises en place dans les autres studios. Par exemple, nos bass traps (Ndlr : pièges de basses fréquences) doivent en être à leur sixième version. Au début, on avait des mousses sur les murs, et maintenant on a des absorbeurs beaucoup plus aboutis en terme de son et de design. J'insiste encore sur le fait que se mettre à la place de nos clients est central dans notre activité. Cela nécessite un état d'esprit particulier dans notre équipe, de toujours être curieux et en alerte sur ces sujets, et d'avoir envie de progresser. Ce sont souvent les groupes qui nous apportent les meilleures idées, comme installer un porte-manteau, ou utiliser tel type de matériel.
Le matériel, parlons-en. As-tu des instruments de référence ?
Que ce soit ici ou dans un studio à Tokyo ou à Manchester, c'est toujours le même matériel. Il y a toujours des amplis Fender, les trois mêmes marques de batterie, les mêmes marques de sono, et la même architecture d'intérieur. En fait, l'activité structure l'espace. Et pour s'adapter aux demandes spécifiques, on a beaucoup de matériel disponible à l'accueil, dans les réserves, ce qui permet par exemple de toujours réussir à trouver l'ampli qui va bien.
Pourrais-tu nous parler des difficultés les plus courantes lorsque l'on gère un studio ?
Il y en a deux diamétralement opposées. On est en permanence dans l'anticipation pour que les répétitions se passent bien. Il faut prévoir le nombre de personnes de l'équipe, comment on se transmet l'information d'une réservation à l'autre...etc. Et puis après il y a un côté lâcher-prise. Le vendredi de la semaine dernière, il y a eu une fuite d'eau dans l'un des studios. Et la fuite d'eau, une fois qu'elle est là, elle prend le pas sur tout le reste. On est donc en permanence en train de jongler avec un temps très court de l'urgence et l'anticipation sur le long terme. Mais fondamentalement je ne pense pas que ce soit très différent de ce que fait n'importe quel chef d'entreprise.
Et y a-t-il des célébrités importantes qui viennent répéter à Studio Bleu ?
Oui, il y en a plein. Ils passent en général entre 10 heures et 18 heures, l'heure de la musique professionnelle. Entre 18 heures et 19 heures, il y a un changement de clientèle avec les amateurs et les cours de musique. Pour en revenir aux célébrités, on a la chance de recevoir des artistes de la nouvelle scène comme Brigitte ou des plus anciens comme Bernard Lavilliers. Ici, ils peuvent utiliser nos deux salles de 100m2 complètement insonorisées où l'on peut jouer à des puissances « concert » jusqu'à minuit. On est aussi équipé d'un monte-charge, car quand on a ce genre d'artistes, ils viennent généralement avec un camion de matériel. Il faut donc beaucoup de manutention et de logistique. Et ça, ça s'anticipe beaucoup. Aznavour, quand il venait, il se faisait livrer un quart de queue, son piano, avec lequel il partait en concert après. Il restait de 2 à 5 jours. Les artistes viennent ici 10 jours grand maximum, et après ils partent en tournée ou ils rentrent dans des structures plus importantes encore. Il faut aller assez loin en banlieue pour avoir ce genre de locaux, que l'on devrait bientôt avoir sur notre site de Pantin.
A ce propos, peux-tu nous en dire plus sur les évolutions prévues pour Studio Bleu ?
Tant que l'on a des clients, on ouvre des sites. Dans le domaine de la répétition, il y a trois marchés : la répétition à l'heure, c'est ce que l'on fait ici, qui va de une heure à 10 jours. Il y a aussi la répétition en résidence, c'est ce qu'on fait beaucoup à Pantin, avec des salles plus petites qui font 20m2 et que les groupes louent pour une durée allant de six mois à un an. On a déjà deux sites comme ça à Pantin, et on en aura très certainement un troisième dans les années qui viennent. Il y a la danse où l'on a des salles dans le 9ème, le 10ème, le 20ème et à Pantin. C'est un secteur dynamique et porteur. On continuera donc à ouvrir des salles de danse. Et puis il y a la très grosse répétition, les salles de 150m2 et plus, pour les artistes confirmés qui viennent faire des répétitions avant de partir en tournée. Cette partie-là, on ne l'occupe pas encore, mais je pense qu'on l'occupera bientôt. En parallèle, on continue notre développement horizontal, en rajoutant des sites, en améliorant les anciens, en investissant sur le matériel, sur le design, sur tout ce qui fait qu'une répétition se passe bien.